Ice or fire? (ft Raphael & Eve)

Il était 9heures quand j'ouvrais la porte de mon cabinet. Je n'étais pas en retard puisque mon premier rendez vous n'était qu'à 9h30 mais par rapport à d'habitude je n'étais pas en avance...Moi qui aimais arriver tôt pour trier le courrier, compléter des dossiers, prendre des rendez vous, en ce moment c'était plus compliqué. La grossesse commençait à me fatiguer. En tout cas je dormais énormément! Heureusement que je n'avais pas un métier physique parce qu'il y aurait longtemps que j'aurais dû me faire arrêter. Là, je me sentais encore bien en forme. Mon ventre de femme enceinte se voyait bien mais il n'était pas encore trop imposant. Je m'assis confortablement dans le fauteuil de mon bureau afin de faire rapidement quelques tâches qui en fait se résumèrent à écouter mon répondeur, rappeler si besoin, lire mes mails et y répondre. C'est qu'en une demi heure on a pas le temps de faire beaucoup de choses. Quand j'entendis la porte d'entrée sonner je me servis rapidement un grand verre d'eau avant d'aller directement jeter un coup d’œil à mon agenda. J'avais rendez vous avec Raphael Stark. Je savais juste par transfert de dossier que c'était une femme qui avait profité du programme pour sortir de prison il y a cinq ans. La réinsertion avait dû lui être profitable puisqu'elle n'avait pas été réincarcéré depuis. C'était donc une patiente ordinaire qui avait pris rendez vous de son propre chef. J'étais curieuse d'en apprendre plus.

Je pénétrais dans la salle d'attente et je souris à ma future patiente, une belle femme brune qui devait avoir entre 35 et 40 ans. Son regard était franc mais elle avait l'air sur la défensive.

"Madame Stark si vous voulez bien entrer." Je lui désignais la porte avant d'entrer après elle. Il y avait deux fauteuils à mon bureau et un genre de canapé un peu plus loin avec un autre fauteuil. J'attendais de voir si elle préférait s'installer à mon bureau ou directement à l'espace que les patients aimaient bien investir (ils s'y installaient de plus en plus confortablement) au fur et mesure des rendez vous avant de m'assoir à mon tour. Je la regardais de nouveau en lui souriant puis je sortis un nouveau dossier à remplir. "Est-ce que vous pouvez me dire ce qui vous amène?"

Il ne faut pas croire mais ce n'était pas une question facile et pourtant pas une question piège. Mais je préférais toujours laisser les personnes me parler plutôt que de moi même tirer des conclusions. L'apparence est parfois trompeuse et c'est un bon point de départ de savoir si les gens sont au clair sur leurs difficultés ou non.

Elle entrait dans mon bureau et je suivais son pas du regard. Elle semblait assez timide mais elle choisit quand même de s'installer sur le canapé ce qui pour moi montrer une certaine détermination. Les gens en général en entrant dans mon salon préférés s'installer dans un des fauteuils face à mon bureau. En général ceux qui choisissaient le canapé étaient ceux qui étaient le plus déterminés à faire une thérapie. Je pris mon dossier sur mon bureau et je m'installais dans la chaise face à elle. Sa voix était un peu tremblante mais cela lui passait vite. Ce devait être une femme plutôt déterminée dans la vie de tous les jours. Je prenais quelques notes pendant qu'elle m'expliquait avoir eu une enfance difficile qui la perturbait toujours. Mon regard se posait sur elle et je lui souris.

" Racontez moi ce que vous avez fait depuis votre sortie de prison?"

C'était important de savoir si elle avait eu un travail, des loisirs, des amies, un compagnon ou une compagne... Et puis je sentais qu'il n'était pas tout de suite le moment de parler de son enfance. Si c'était quelque chose de douloureux il fallait qu'elle ait confiance en moi pour m'en parler. Alors je préférais parler de sa sortie de prison. Il y avait peut être aussi quelque chose qui avait déclenché son envie de venir voir un psychologue, ça aussi c'était intéressant et j'avais envie d'en savoir plus. Et puis il fallait y aller doucement je la sentais sur la réserve. Et inutile de la brusquer. Je pressentais qu'il y avait beaucoup à découvrir encore.

Je regardais ma patiente assise juste en face de moi, elle semblait réfléchir à ce qu'elle allait dire, à ce qu'elle allait répondre à ma question. Elle avait tout de la personne méfiante et qui ne se confiait pas facilement. A moins qu'elle ait quelque chose à cacher, quelque chose d'illégal...mais ça je ne pourrais pas le savoir pour l'instant. Je l'écoutais me dire qu'elle n'avait pas fait grand chose depuis qu'elle était sorti de prison. Elle semblait avoir une image assez négative d'elle même, c'était en tout cas l'impression qu'elle me faisait.

" Vous savez faire quelque chose de sa vie ne veut pas forcément dire avec un mari et des enfants. Vous avez un travail, des amis ce sont des choses importantes qu'il ne faut pas minimiser." C'était important pour moi de la rassurer, de valoriser ce qui lui semblait si peu et qui en fait ne l'était pas. Pour beaucoup on croit que réussir sa vie c'est avoir des enfants. Mais il y a des personnes qui n'en souhaitent pas et qui ne s'en portent pas plus mal, ou qui n'en ont pas mais qui font d'autres choses de tout aussi intéressant. " Vous ne seriez pas capable de quoi? Vivre en couple ou avoir des enfants?"

C'était une question toujours intéressante: ne pas se sentir capable d'élever un enfant. Cela démontre pour moi une vraie fragilité émotionnelle. Je prenais quelques notes, toujours, pendant que je lui parlais. Puis mon regard se levait vers elle lorsque j'entendais ses dernières paroles. Elle employait des mots très durs, emplis de détresse et de tristesse. Serait-elle plongé dans une dépression? Je posais mon dossier sur mes genoux, je me redressais et je me penchais vers elle pour lui répondre. Mes mots étaient pour le plus souvent pesés et mesurés mais je savais quoi répondre. Enfin j'espérais toujours que je savais quoi répondre. Comment apaiser les craintes, les peurs, comment redonner confiance. C'était bien mon métier après tout.

" Vous avez l'impression que vous stagner mais c'est faux. Vous avez trouvé un emploi que vous avez gardé, pour lequel vous vous levez tous les matins. Vous avez des amis que vous fréquentez. Vous sortez, vous vous habillez...et vous êtes là. C'est une démarche importante que de venir me voir. Votre ennui, le fait que vous ne vous sentiez pas heureuse tout cela vous donne à penser que vous seriez mieux morte mais au fond ce n'est pas ce que vous voulez. Puisque vous êtes là. Puisque vous travaillez. Puisque vous cherchez à améliorer votre situation." Je me tus un instant. Pour la laisser réfléchir et pour moi même réfléchir. Je ne savais pas quel était son passé de délinquante mais l'ennui qu'elle décrivait...est-ce que c'était l'adrénaline de faire des choses interdites qui lui manquaient? Ou bien était-ce juste une grande lassitude et solitude qui ressortait de cette façon? " En règle général qu'est-ce qui vous rend heureuse? Je ne parle pas forcément de grandes choses mais même de petits détails...qu'est-ce qui vous fait vous sentir bien? Qu'est-ce qui vous fait sourire? Rire?"